Analyse par Patrice Dumont
Ils étaient 13, ce mardi 11 octobre 2011, en présence de trois milliers de spectateurs. 13 footballeurs portant passeport haïtien à s’opposer au stade Sylvio Cator à une pauvre équipe curaçaolaise dans un match éliminatoire de la Coupe du monde 2014 terminé sur le score de 2 buts partout. 13 footballeurs haïtiens, pas l‘équipe haïtienne.
Steward Céus - Réginald Goreux (Donald Guerrier), Frantz Bertin, Jean-Jacques Pierre, Kim Jaggy- Peterson Joseph, Judelain Aveska ( James Marcelin) Jean Sony Alcénat, Junior Hérold Charles, Eudes Maurice – Kervens Belfort Fils.
Ces footballeurs haïtiens ont en commun dans leur métier le langage basique universel qui permet à un Japonais de Tokyo, par la mime, de faire comprendre à un Boschiman, qui n’a jamais vu un verre à eau, qu’il a besoin de boire.
Autrement dit, quand Junior Hérold Charles et Eudes Maurice se sont retrouvés isolés contre deux adversaires tout près du poteau de corner de Curaçao, le langage basique universel du football leur a permis de comprendre qu’il devait y avoir du démarquage de l’un (Charles) et passe de l’autre (Maurice), le premier pouvant alors fouler la surface de réparation adverse et y être descendu, le second ayant procédé à la réparation sans trembler (1-2, 25e ).
Quand le petit gardien de Curaçao repousse maladroitement un coup-franc botté par Hérold Charles, c’est par réflexe, non par action concertée et/ou intelligente que Jean-Jacques Pierre plonge pour égaliser 2-2, de la tête (60e). Nos représentants ont vendangé une dizaine de passes aériennes profondes vers un attaquant isolé, Belfort Fils, toutes tentatives qui ont retrouvé les mains du portier d’en face ou la sortie en but. C’est l’un des témoignages de notre incapacité à créer des solutions.
Absence totale de cohésion et de compacité : à la perte du ballon par Judelin Aveska, le calamiteux placement de la défense haïtienne se dévoile, Goreux scotché dans le couloir a mille lieux de Bertin, lui-même en zigzag avec Pierre accouru trop tard pour contrer un attaquant qui a pris une éternité avant de tirer victorieusement au but où Céus est resté figé (1-0, 7e ).
Perdition de la défense à la 60e minute symbolisée par le tacle raté de JJ Pierre glissé sur la gauche au secours de Kim Jaggy disparu, alors que Bertin non couvert ni par Goreux ni par un des milieux défensifs : pathétique. Le beau centre curaçaolais qui a suivi a été complété par une détente à la Cruyff pour une reprise du gauche imparable, le genre de but qui écoeure doublement le spectateur local : douloureux d’encaisser n’importe quel but, douloureux aussi de ne pas pouvoir applaudir une si belle œuvre réalisée paradoxalement par des grimauds (2-0).
À part Céus dont la fébrilité est perceptible par les moins connaisseurs, personne ne peut pourtant contester la valeur individuelle des joueurs haïtiens. Bien malin celui qui trouverait place pour un seul des Antillais parmi les Haïtiens à des années-lumière de leurs rivaux sur le plan technique. Quoi alors, que tant de différences n’aient pu se concrétiser au score?
Les buts encaissés, vous en avez une idée. Mais ceux que nous avons marqués trahissent aussi nos faiblesses. Deux buts sur balle arrêtée : un penalty et un coup franc exploité avec opportunisme, peu pour une si écrasante supériorité.
Arriver à maîtriser le ballon de football requiert un long, patient et ludique travail répétitif et d’imagination qui commence depuis l’enfance et s’arrête en fin de carrière. Cette maîtrise individuelle est nécessaire pour bien jouer au football mais non suffisante. On apprendra au joueur à se situer sur le terrain, à percevoir partenaires et adversaires, à toujours voir le ballon.
Tout cela acquis, on n’atteint pas encore le stade d’Équipe parce que le football est une association d’humains lestés de leurs intérêts personnels, émotions et sentiments à fondre dans une unité sans oblitérer les singularités. Parce qu’il s’agit aussi d’une variation infinie de situations à l’intérieur d’un canevas de double surface, distincte l’une de l’autre non moins interpénétrées : la possession du ballon et sa perte.
L’équipe qui est prête à bien défendre pendant qu’elle attaque à toute bouline, ou qui est prête à attaquer efficacement pendant qu’elle défend avec acharnement, a atteint le niveau de perfection possible en football.
Une équipe de football est l’expression de ce postulat, non pas sa connaissance, en ce qu’un joueur ou un groupe ne connaît pas une fois pour toutes des formules comme un chimiste, un mathématicien, un physicien ou un prestidigitateur. Ses connaissances du jeu sont fuyantes. Chaque footballeur, tout brillant qu’il puisse être, est un dépendant. L’autonomie n’existe pas en football. Et cette heureuse interdépendance est le résultat d’un travail psychologique et tactique intelligent et patient de l’entraîneur soutenu par les dirigeants. Au bout de ce travail : la cohésion. Tout le monde tire le drap dans la même direction, défend et attaque ensemble, chacun ayant sa part dans la tâche prioritaire de l’autre.
Qui, parmi les Haïtiens, savait où se mettre quand Tiga partait en dribble et finissait sur le corps d’un adversaire ? Qui soutenait les départs en contre-attaque de Belfort ? Quand Judelain Aveska avait le ballon à 40 mètres du but haïtien, Peterson Joseph se tenait-il en soutien du partenaire, donc en couverture pour assurer la protection en cas de perte du ballon, et vice-versa, d’où le premier but encaissé ? La récupération de la balle était individuelle alors que tous ceux-là qui portaient les couleurs nationales ce mardi 11 octobre le savent dans leurs clubs respectifs.
La grande leçon, au-delà des choix hasardeux qu’a pu faire l’entraîneur ( Aveska médian défensif, Joseph à court de forme, entrée de Donald Guerrier comme milieu droit, lui, l’arrière latéral gauche) est que cet ensemble de joueurs dont nous disposons ne sont pas assez forts individuellement pour compenser l’absence de cohésion due au temps d’entraînement trop réduit, en général trois ou quatre jours, après un long voyage transatlantique. Et comme ces 72 heures sont aussi utilisées par l’entraîneur pour parfaire de la musculation ou s’employer assez longuement dans des exercices de tirs au but, négligeant du coup l’incontournable question tactique, le déficit est inévitable.
Nous avons au moins quatre points à prendre les 11 et 15 septembre contre Antigua qui se prend désormais pour une foudre de guerre. L’équipe que nous méritons ne sera pas encore constituée. En revanche, en cas de victoire, nous n’aurons pas moins de six mois pour planifier des stages et construire enfin une équipe.
Nous pourrons alors clamer : à nous les USA, la Jamaïque et le Guatemala !
Patrice Dumont
patricedumont21@hotmail.com