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Jeudi 3 mars. Une rumeur circule à Port-au-Prince faisant croire que répondre à certains numéros de téléphone peut être fatal. Des "numéros diaboliques", "meurtriers", à en croire les colporteurs de la rumeur. Une anecdote tragi-comique soulignant la collision de l’ignorance crasse et de la technologie.

Cette affaire de « numéros tueurs » prêterait à rire si elle n’était pas prise très au sérieux en Haïti, et si elle n’était de nature à faire perdre des millions aux télécoms établis dans le pays si elle persistait.

Pire, elle montre la stagnation de la mentalité haïtienne et qu’en 2011 on pense encore comme au Moyen-âge. La pensée magique. L’idée même de l’utilisation des ondes électromagnétiques usuelles à des fins criminelles aurait dû paraitre absurde.

Au lieu de cela, on préfère dire qu’Haïti est le pays de tous les possibles. Sait-on jamais, les canaux de communication moderne peuvent être utilisés pour occire, empoisonner, «envoyer des zombies». Peut-être y a-t-il des sites internet mortels…

Le seul bon côté de cette histoire de numéros de téléphone assassin : l’occasion de réfléchir sur l’impact de l’introduction des nouvelles technologies en milieu rurales, dans les endroits les plus reculés du pays. Et lorsqu’on parle de ruralité, nous incluons le grand Port-au-Prince qui est la plus grande des villes de province d’Haïti.

Le téléphone mobile est l’élément de la modernité à l’indice de pénétration le plus élevé en Haïti, qui atteint le plus de monde, plus que l’électricité, plus que la radio, la télévision, plus que tout. D’ailleurs, il les remplace parfois : un cellulaire est une radio, une télé, un ordinateur, une lampe de poche…

Alors quel impact peut-il avoir sur l’esprit des gens dans des endroits ou la modernité est complètement absente ? Comment est-il perçu ? Une nécessité ou une bizarrerie ? Un truc magique qui n’est pas de notre siècle, peuple moyenâgeux ?

Les compatriotes de la diaspora racontent fréquemment des blagues d'Haïtiens n’ayant jamais été en contact avec des éléments de la modernité et qui, une fois arrivé à l’étranger, affichent des comportements bizarres.

On rapporte que certains essaient d’éteindre des ampoules électriques en soufflant dessus, d’autres trouvent les WC trop beaux et hésitent à les utiliser. D’autres encore invoquent les dieux tutélaires de la race devant un ascenseur ou la porte d’un magasin qui s’ouvre tout seul…

Cela peut certes prêter à rire, mais ce n’est pas drôle car si la modernité vient à nous en forçant la résistance des marrons que nous avons toujours été, ces genres de scènes risquent de se produire lorsqu’une grande chaine hôtelière s’installera à Bombardopolis, voire à Léogâne, à 33 km de Port-au-Prince. On ne peut pas savoir la réaction de la population face à une modernité pour laquelle elle n’était pas prête.

L’élément technologique dont l’esprit haïtien essaie de percer le fonctionnement aujourd’hui est le téléphone. Jusqu'à présent on croyait que ce « truc » était entré dans nos moeurs, qu’il passait très bien parmi la frange de la population même la plus analphabète.

Lorsque le cellulaire se vulgarisait en Haïti, on entendait des histoires cocasses  comme quelqu’un qui se débarrasse de son appareil en l’entendant sonner ou qui demande à quelqu’un d’autre de répondre à sa place…

Ces scènes se voient de moins en moins, cependant, ce qui est arrivé ce jeudi montre qu’une bonne partie de la population ne sait pas à quoi sert un téléphone. Pire, qu’on peut l’utiliser comme une arme de destruction massive.

A la base un appareil téléphonique c’est fait pour communiquer. Il est vrai que de nos jours, il est multitâche. Et chaque jour, les mobiles supportent de nouvelles applications pour toutes sortes de choses, des « appli » comme on dit.

Mais il n’existe pas encore l'application permettant de tuer. Peut-être que les génies du mal qu’on croit à tort que nous sommes venons juste de l’inventer.