changeons l'Haiti de demain
Il faut changer de mentalité ! C'est la phrase, non moins importante, qui revient dans la bouche de beaucoup d'Haïtiens ces derniers temps, à chaque fois qu'une catastrophe frappe le pays. Après les catastrophes naturelles et événements malheureux comme : les inondations à Mapou et Pichon, les deux cyclones aux Gonaïves (2006, 2008), l'émeute de la faim en avril 2008 et récemment le séisme du 12 janvier, nombreux étaient ceux qui croyaient que l'Haïtien allait enfin changer cette mentalité tant décriée et jugée néfaste pour le développement, le progrès et le bonheur d'Haïti. Quand on parle de mentalité, on veut parler précisément de « l'etat d'esprit : façon, lhabitude de penser, de se représenter la réalité. L'ensemble des habitudes, des croyances propres à une collectivité et communes à chacun de ses membres . » M. Grawitz (1999) la définit comme la « façon de juger, de réagir, propre à un individu, à un groupe. Etat d'esprit aboutissant à des attitudes et des comportements. La mentalité collective (...) fait intervenir comme principe d'unité, une conscience collective. Ex. : la mentalité bourgeoise ». Si on prend pour acquis que la mentalité haïtienne tire son origine dans la société coloniale de Saint-Domingue, on peut relever alors, entre autres, deux grands traits de comportement caractéristique, de cette période et qui ont encore de grandes influences sur les élites politiques et économiques d'aujourd'hui d'une part, et sur les classes populaires (paysans et habitants des quartiers populaires ou des bidonsvilles) d'autre part. On veut parler précisément de l'état d'esprit ou la mentalité des colons blancs et de celui des esclaves noirs de la colonie de Saint-Domingue. En effet, les colons blancs, propriétaires terriens et d'esclaves, placés à la tête de l'échelle sociale, étaient considérés comme supérieurs aux mulâtres et aux esclaves. Ils étaient les grands privilégiés du système colonial de Saint-Domingue. Leurs principales activités étaient l'exploitation de leur plantation agricole (sucre surtout) et l'exportation de leusr produits vers la métropole. Ils importaient pratiquement tout ce qui leur était utile de la France. Ils s'appuyaient sur l'armée coloniale pour assurer la protection de leur vie et de leurs biens. Leurs fortunes étaient majoritairement transférées vers la France pour de futures jouissances, donc ils n'investissaient généralement pas dans la colonie, sauf au niveau de la plantation. Ainsi, développaient-ils une mentalité de privilégiers, de supériorité et de dédain par rapport aux autres classes sociales, de dépendance vis-à-vis de la France, d'irresponsable socialement et enfin un manque d'engagement et d'attache par rapport à la colonie. On trouve qu'il y a une grande similitude dans l'état d'esprit qui caractérisait les colons blancs et les dirigeants économiques et politiques de la période post coloniale. Ces derniers ont adopté et reproduit le modèle des colons blancs pour diriger le pays. Et cette mentalité se manifeste dans des comportements tels : le mépris des dirigeants par rapport aux masses populaires, l'absence de politique de sécurité sociale, leur tendance à l'exploitation, aux abus et au rabaissement des faibles (employés, domestiques, analphabètes, paysans, etc.). Ils n'ont généralement pas de plan ni de programme de développement social et économique pour le pays. La production doit se tourner essentiellement vers l'extérieur; ils importent quasiment tout de l'extérieur sans aucune inquiétude pour l'économie nationale, les ressources minières doivent nécessairement être exploitées par un pays étranger, ils ne conçoivent à aucun moment qu'elles puissent être exploitées pour développer les infrastructures nécessaires pour l'avancement du pays, etc. Cette mentalité se manifeste également dans des proverbes et des expressions créoles comme : • Sòt ki bay enbesil ki pa pran • Chak koukouy klere pou je ou • Zafè poul pa zafè kodenn, • Ann al fè travay blan an, • Blan hoo, etc. Les esclaves noirs, considérés comme la catégorie sociale la plus mineure de la colonie, comparés à des bêtes de somme, biens meubles, des sous-hommes, des n'ayant-droits, étaient les plus abusés, méprisés et exploités de saint-Domingue. Ils étaient considérés comme inférieurs aux mulâtres et encore plus aux blancs. Pour contourner l'agression et la rudesse du système, ils développaient plusieurs types de réaction et de comportement, dont trois en particulier : 1) la serviabilité, la disponibilité, l'obéissance excessive et des jeux de charme pour attirer la faveur du maître (esclave à talent) ; 2) la fuite ou le marronnage pour fuir la plantation et le système colonial quand ils ne pouvaient plus le supporter et quand sa situation par rapport au maître devenait trop compliqué et dangereux pour lui, Ils fuyaient ainsi le système et cherchaient à survivre dans les bois (les marrons) ; 3) enfin, le révolté qui est la dernière étape, à ce niveau il fait table rase du système et va jusqu'aux extrêmes, (koupe tèt boule kay). Cependant, il ne le fait pas sans l'aide d'un leader, d'un chef qui canalise leurs émotions et énergies contre ce qu'il lui présente comme la cause ou le responsable de leurs malheurs. Les traits dominants sont les deux premiers, le troisième se produit occasionnellement, à des rythmes irréguliers et le plus souvent sur une durée relativement courte, étant donné que c'est un cri du coeur; l'émotion est dominante, « tout bèt jennen mòde ». Continuer > |
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Il y a également une assez grande ressemblance entre la mentalité des esclaves et celle des masses populaires (paysans, habitants des quartiers populaires). Ils se comportent généralement comme s'ils n'avaient aucun droit; sans l'influence ou la manipulation d'un quelconque leader ils ne formulent généralement aucune revendication liée à leurs besoins propres. Ils ne réclament rien de l'Etat, même quand ils ont de grands besoins; d'ailleurs ils cherchent constamment à l'éviter ou à le contourner. Ils cherchent toujours à survivre face à la misère en perpétuelle croissance. « Pito'm lèd mwen la » . La reproduction et le renouvellement de ces traits de mentalité se sont faits à partir d'un ensemble de conditions, de mécanismes et de facteurs socioculturels, dont la famille, les clans, les groupes sociaux, les sectes, les contes, les histoires et les proverbes y ont certainement contribué, chacun à leur niveau. Cependant, nous pensons également qu'ils ont perduré, du fait qu'il n'y pas eu encore de disposition prise dans le pays pour les corriger. Selon nous, l'action qui pourrait rendre possible une telle correction devrait être : légale, institutionnelle, systématique, durable, inclusive et généralisée sur toute l'étendue du territoire. Les vertus de l'éducation L'éducation, maître-mot dans le discours de nombre de nos « leaders » politiques et directeurs d'opinion actuels, est souvent présentée comme le principal élément qui peut sauver Haïti dans l'état déplorable oùl il se trouve. Nous sommes bien d'accord avec cette allocution, cependant quand ils insistent uniquement sur le caractère intellectuel, (compétence, technique) de l'éducation dans le salut d'Haïti, nous avons des réserves. En effet, si l'éducation est l'«action de développer les facultés morales, physiques et intellectuelles » d'un individu, en Haïti elle semble n'avoir pas fait grand-chose sur la moralité des Haïtiens, surtout des dirigeants. C'est ce manque qui rend justement dramatique la situation du pays, du fait que nous n'avons pas beaucoup de ressources et le peu que nous avions ou trouvions en demandant aux autres pays est continuellement détournée au profit des équipes au pouvoir. Et cela ne date pas d'aujourd'hui; c'est une constante dans l'histoire politique d'Haïti. Ce comportement est pareil chez l'analphabète fonctionnel qui arrive au pouvoir comme chez l'éminent professeur d'université avec maitrise et doctorat, sortant des grandes universités du nord (d'Europe, du Canada et des Etats-Unis). Donc, si malgré toute la qualification de ces derniers, il n'y a pas de différence quand ils sont Chefs d'Etat, Premier Ministre, Ministre, directeur général, sénateur, député, juge, ... alors, ne devrait-on pas se pencher maintenant en Haïti sur la façon dont on peu utiliser et orienter l'éducation pour développer les facultés morales de l'Haïtien, et corriger certains traits de sa mentalité pour avoir de nouveaus types de dirigeants : Responsables, sérieux, honnêtes dans la gestion de la chose publique? Donc, quand nous avions parlé plus haut des caractéristiques de l'action qui pourrait aider à corriger les traits néfastes de nos mentalités, nous faisions allusion justement au système éducatif national. En effet, ce système répond bien aux critères présentés plus haut. A savoir, c'est un système légal, institutionnel, durable et systématique, présent un peu partout en Haïti. Ainsi, ne serait-il pas logique de penser au système éducatif dans le cadre de la mise en place d'une stratégie pour modifier/corriger certains accros dans notre mentalité. Les pratiques de nos dirigeants Si, dans toute expérience humaine, bonne ou mauvaise il y a toujours des leçons à tirer, alors que devons-nous apprendre des nôtres ? C'est-à-dire, de la mauvaise gouvernance, la corruption, les magouilles, de l'insouciance et l'indifférence des dirigeants par rapport aux intérêts de la nation et au sort du peuple, les traîtrises, ... Mais, surtout comment transmettre ces leçons à nos enfants de façon utile pour l'avenir ? C'est-à-dire, dans le sens de créer une cassure, une discontinuité dans le renouvellement de ces traits de comportement qui sont pour beaucoup dans le sous-développement du pays. Plusieurs méthodes pédagogiques peuvent être expérimentées pour cela; par contre, celle utilisée traditionnellement au niveau fondamental, basée uniquement sur la mémoire (le par coeur) et non sur la compréhension est évidemment non appropriée pour cet objectif. Nous aurons besoin d'une méthode qui pourrait aider l'enfant de huit, neuf ans, au jeune de dix sept, dix huit ans à comprendre le sens de l'action des femmes et des hommes du pays (des responsables politique, économique et social, les chefs de famille), si les conséquences de celles-ci sont positives ou négatives. Les conséquences positives à encourager, féliciter, complimenter, à prendre comme modèle. Celles qui sont négatives dans le sens des intérêts de la nation et contre le bien être de la population à rejeter, condamner, bannir dans leur façon de se représenter le monde, donc dans leur idéologie et leur comportement quand ils seront eux-mêmes chefs de famille ou faisant partie des responsables du pays. Selon nous, si nous arrivons à mettre sur pied un institut qui aurait pour tâche de développer des manuels de lecture expliquée, munis d'illustrations graphiques, basés sur les habitudes, les pratiques, les actions des hommes d'état ou du simple citoyen, en faisant bien ressortir les conséquences qui en découlent et ajoutes de quelques questions de débats, si on arrive à intégrer ces manuels dans le système scolaire haïtien dès les classes élémentaires jusqu'à la philo en ayant pris soin de respecter l'évolution pédagogique des manuels suivant les ages, en sortant de l'école après quatorze années de scolarités nous sommes sûrs qu'au moins 40 à 50% de ces jeunes auront une mentalité différente et pourront représenter une masse critique qui pourra faire changer bien des choses dans ce pays. Nous sommes convaincus que le salut d'Haïti devrait passer nécessairement et d'abord par une transformation de l'homme haïtien. Et nous devons tout tenter pour y parvenir. |
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Johnny ESTOR, Coordonnateur du Groupe d'Éducation Civique et d'Animation Sociale(GRECIA) Téléphone : 3445-6588, 3801-0606 E-mail : estor73@yahoo.com |
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